Opération El Dorado Canyon : Le raid américain sur la Libye du 15 avril 1986
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### **Introduction**
Dans la nuit du 15 avril 1986, les États-Unis ont lancé un raid aérien d’envergure sur la Libye, baptisé **Opération El Dorado Canyon**, ciblant la capitale Tripoli et la ville de Benghazi. Cette opération faisait suite aux accusations de Washington envers le régime libyen de Mouammar Kadhafi, soupçonné de soutenir le terrorisme et d’être impliqué dans des attaques contre des intérêts américains, notamment l’attentat de la discothèque « La Belle » à Berlin-Ouest en 1986. Le raid a entraîné la mort de dizaines de civils et la chute d’un avion militaire américain, marquant un événement clé des relations internationales durant la Guerre froide.
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### **Contexte historique et politique**
#### **1. Les tensions américano-libyennes**
- Depuis le coup d’État de 1969 qui porta Kadhafi au pouvoir, les relations entre les deux pays furent hostiles, en raison du soutien libyen aux mouvements de libération mondiale (notamment palestiniens) et de son opposition aux politiques occidentales au Moyen-Orient.
- Sous la présidence de Ronald Reagan (1981-1989), les confrontations s’intensifièrent, surtout après la déclaration par la Libye de la « Ligne de la mort » dans le golfe de Syrte en 1981, provoquant des affrontements aériens et navals répétés.
#### **2. Les accusations de terrorisme**
- Les États-Unis accusèrent la Libye d’avoir orchestré des attentats terroristes, comme le bombardement de l’ambassade américaine à Beyrouth (1983), le détournement du vol TWA 847 (1985), et enfin l’attentat de Berlin le 5 avril 1986, qui tua 3 personnes, dont deux soldats américains.
- Selon des documents du renseignement américain, Washington affirmait l’existence de liens entre les services secrets libyens et les auteurs de l’attaque, une accusation niée avec force par la Libye.
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### **La planification de l’opération**
#### **1. La décision politique**
- Après l’attentat de Berlin, Reagan décida de riposter militairement, conformément à sa politique de « lutte contre le terrorisme par la force ». La Libye fut choisie pour incarner la pression internationale contre les États soutenant le terrorisme.
- Le Pentagone et la CIA participèrent à la planification, visant à porter un coup rapide et décisif pour affaiblir le régime.
#### **2. Les défis logistiques**
- **Forces mobilisées :**
- Des avions **F-111 Aardvark** décollant de bases en Angleterre, soutenus par les porte-avions **USS Coral Sea** et **USS America** en Méditerranée.
- La France et l’Espagne refusèrent l’accès à leur espace aérien, obligeant les avions à un détour par la péninsule ibérique, nécessitant 13 ravitaillements en vol.
- **Cibles prioritaires :**
- Le complexe résidentiel de Kadhafi à Tripoli (la caserne Bab al-Azizia).
- Une base militaire à Benghazi.
- Des installations supposées abriter des camps d’entraînement « terroristes ».
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### **L’exécution du raid**
#### **1. Le timing et les armes**
- Le raid débuta à 1h45 (heure libyenne), utilisant des bombes guidées par laser et des missiles **AGM-88 HARM** pour neutraliser les défenses antiaériennes.
- Les bombardements durèrent 12 minutes, mais les limites technologiques de l’époque causèrent de nombreuses victimes civiles.
#### **2. Pertes humaines et matérielles**
- **Victimes libyennes :**
- Entre 40 et 60 civils tués, dont Hana, la fille adoptive de Kadhafi, selon des sources libyennes.
- Des quartiers résidentiels proches des cibles militaires furent dévastés.
- **Pertes américaines :**
- Un **F-111** fut abattu par la défense libyenne, tuant les capitaines **Fernando L. Ribas-Dominicci** et **Paul F. Lorence**.
- Un autre avion, endommagé, parvint à regagner sa base.
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### **Réactions internationales et conséquences**
#### **1. Réponses libyennes et arabes**
- Kadhafi condamna une « attaque terroriste », tandis que la Libye voyait éclater des manifestations anti-américaines.
- La Libye reçut le soutien de pays arabes et africains, bien que certains gouvernements arabes aient tacitement approuvé l’opération.
#### **2. Positions européennes et onusiennes**
- L’URSS et plusieurs pays européens critiquèrent une violation de la souveraineté libyenne.
- Un projet de résolution de l’ONU condamnant les États-Unis fut bloqué par le veto américain.
#### **3. Impact sur les relations américano-libyennes**
- L’isolement international de la Libye s’accentua, avec un durcissement des sanctions économiques.
- Les tensions dans le golfe de Syrte reprirent en 1989, persistant jusqu’au début du XXIᵉ siècle.
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### **Débats éthiques et juridiques**
- **Légalité internationale :**
- Le raid fut considéré comme une violation de la Charte de l’ONU, n’ayant pas reçu l’aval du Conseil de sécurité.
- Reagan le justifia comme une « légitime défense » (Article 51).
- **Proportionnalité et nécessité :**
- Des experts doutèrent de la fiabilité des preuves et de la justification des bombardements aveugles.
- Des rapports ultérieurs évoquèrent une volonté de Reagan de renforcer son image avant des élections.
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### **Héritage historique**
1. **Sur le plan tactique :**
- Une utilisation précoce de frappes aériennes comme outil antiterroriste, réemployé en Irak et en Afghanistan.
- Des défis logistiques dans les opérations interarmées furent mis en lumière.
2. **Sur le plan stratégique :**
- L’échec à renverser Kadhafi, mais une normalisation de la « punition collective » contre les États accusés de terrorisme.
- Certains analystes lient le raid à un durcissement de la Libye, évoquant son implication présumée dans l’attentat de Lockerbie (1988).
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### **Conclusion**
L’Opération El Dorado Canyon reste un événement controversé, symbole des tensions de la Guerre froide et du dilemme entre lutte antiterroriste et respect des souverainetés. Si les États-Unis y virent un message de dissuasion, d’autres y dénoncèrent une intervention unilatérale aggravant les instabilités régionales. Des décennies plus tard, ses enseignements résonnent encore, alors que les conflits évoluent et que les alliances se redessinent.
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*Sources : Archives du Pentagone, rapports de l’ONU, mémoires d’anciens responsables américains, études académiques sur la politique étrangère américaine.*
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